Cet été, j’ai eu la chance de partir pour trois semaines au Grand Nord (Arctique canadien et Groenland). En tant qu’interprète, j’ai écouté avec fascination les Inuits parler une langue pleine de la lettre « q » et de doubles voyelles (aa, ai, iu). J’ai évidemment voulu en savoir plus sur les langues eskimo-aléoutes. Le trait commun des 16 dialectes inuits parlés par environ 100’000 locutrices et locuteurs est d’être agglutinantes. Elles synthétisent sur un radical des suffixes et des éléments significatifs, tels que COI ou COD, pour aboutir à de (très) longs mots, qui dans des langues indo-européennes formeraient une phrase entière (par ex. j’ai pu chasser un phoque).

Les différentes communautés inuites sont toujours très isolées les unes des autres. Il est ainsi plus facile de se rendre de Kangerlussuaq au Groenland à Copenhague à quelques milliers de kilomètres qu’au Nunavik canadien situé à quelques centaines de kilomètres. Cette fragmentation des populations inuits a conduit à une colonisation par différents autres pays (Danemark, Canada, Russie), et par la suite à des systèmes d’écriture de l’inuit très divergents : en cyrillique pour les peuples en Sibérie, en cri au Canada et en alphabet latin au Groenland. Dans de telles conditions, l’uniformisation de l’écriture est-elle la bouée de sauvetage des langues inuites ou au contraire une tentative d’assimilation avant l’abandon de ces langues (à l’exception de l’usage oral domestique) ?

Cette question ne se pose pas seulement au Grand Nord, mais aussi pour les petites communautés en Europe continentale, comme par exemple le romanche en Suisse. Cette langue romane (rumantsch) est parlée par environ 60’000 personnes. Quoiqu’il s’agisse de la quatrième langue nationale suisse, l’usage du romanche est en récession constante et il y a lieu de craindre pour son avenir. L’uniformisation de la forme écrite du romanche à partir des cinq principaux dialectes n’a pas suffi à enrayer son déclin, car les locutrices et locuteurs quittent souvent leurs vallées alpines pour travailler dans les villes suisses-alémaniques du Plateau et ne s’expriment dès lors plus que rarement dans leur langue maternelle.

La diversité linguistique est-elle appelée à disparaître et seules les langues dites utiles, car « économiquement fortes » survivront-elles ? Ce serait une grande perte pour l’humanité, car chaque langue est adaptée à son environnement (songeons aux 50 expressions pour définir la neige de Smilla dans le roman de Peter Hoeg) et fait partie de l’identité de ses locuteurs et locutrices.